aprosognosie

Ce matin je me fais interpeller par un consommateur inconnu à la terrasse d'un café. Je m'avance et lui demande poliment à qui j'ai affaire. Il ôte ses lunettes de soleil, toujours rien, et me dit, surpris, qu'on a joué ensemble une partie d'échecs au club, il y a trois jours; oui, il me rappelle vaguement quelqu'un...
Devant ma bière je lui explique que je ne reconnais pas les visages,je ne parle pas d'aprosognosie, mot impossible à prononcer à cause de mon bégaiement (je suis gâté), mais que c'est une simple particularité de mon cerveau, ce qui fait que je ne m'en excuse pas; j'ai de la chance, il comprend.
Ca je l'ai depuis l'enfance, mais curieusement personne de mon entourage ne s'en est inquiété, j'utilise les détails de la personne (lunettes, colliers, coiffure,taille...) pour reconnaitre mes "semblables", et non le visage dans son ensemble. L'ennui c'est que si ces détails changent ou disparaissent, je suis perdu. Avant je passais mon temps à m'excuser et à rougir de confusion quand j'étais pris en flagrant délit, et on m'accusait de ne pas m'interesser aux autres...
Maintenant je m'en fous, grâce aux découvertes des neurosciences qui m'ont déculpabilisé:  la partie du cerveau spécialisée dans la reconnaissance des visages doit être endommagée; on ne peut rien me reprocher  de même qu'on ne peut  reprocher à un aveugle de ne pas voir; aux autres de s'adapter à moi...
La révolution des sciences "dures" du cerveau et de la génétique ont permis de se débarrasser de toutes les interprétations culpabilisantes des troubles mentaux,  popularisées par une certaine vulgate psychanalytique. Ainsi de l'interprétation de l'autisme, qui serait causé par un mauvais rapport à la mère (Bettelheim),et dont on sait maintenant que la composante génétique est essentielle. Non que la psychanalyse n'ait aucun intérêt, mais certains de ses maîtres ont oublié que nous étions des êtres biologiques, avant même d'accéder au symbolique.